Pompyle Athanaze du Fégor
D’une écriture sûre et allègre,
Pompyle Athanaze du Fégor remplissait le formulaire d’adoption d’un de ses
petits monstres. Son orphelinat ne désemplissait jamais assez, et chaque dossier
complété qui offrait enfin la garde d’un de ses protégés à deux ou trois
parents (ou un parent à plusieurs têtes) le mettait en joie.
Il savait que ce n’était qu’une goutte de sueur et de sang dans l’océan, mais sauver
l’avenir d’un gosse n’était pas rien. C’était même tout pour cet être en
devenir. Et les deux cœurs de Pompyle se serraient d’une joie
douloureuse.
A chaque fois il se rappelait ce frais
matin de novembre où le givre dessinait sur les fenêtres du dortoir une plaine fantasmagorique
d’herbes géantes et pétrifiées. Le froid était si vif qu’il croyait son unique couverture
trempée d’eau glacée. A chaque fois il revoyait les lits disposés en quinconce,
le métal de leur montant qui apparaissait là où la peinture lâchait prise, le blafard
reflet de la lumière d’hiver sur le parquet poli par le passage des générations
d’orphelins. Tout était en nuance de terne, de blême, de vert de gris, et dans
le ciel laiteux, une légende qu’on racontait aux enfants pour les faire cesser
de pleurer parlait d’un soleil éclairant les nuages. Un jour pourtant, dans
cette atmosphère figée, la voix du surgé héla son nom et brisa la torpeur.
Pompyle était à la
fois au dessus du formulaire, dans son bureau familier et rassurant, et recroquevillé
sur un lit d’infortune, avec ses congénères.
Dans ces cas, Pompyle tentait
de se reprendre en changeant de centre d’intérêt. Les monstres se
reproduisaient parfois sexuellement, parfois accidentellement, mais la plupart
du temps, ils apparaissaient, comme l’avait constaté le savant philosophe
autoproclamé Jarice Todt, par génération spontanée, appelée plus simplement
abiogenèse. L’étymologie d’abiogenèse est élémentaire : d’aussi loin que l’histoire
remonte, lorsqu’on donnait des oripeaux à un mendiant, ils étaient aussitôt
envahis par la vermine. De là découla le proverbe : « de l’habit au gêné se vient le vil », qui a donné par
glissement sémantique et ouverture de la diphtongue par échappement
latéral droit : « de l’abiogenèse vient la vie ». Certains pédants
vous feront des étymologies capilotractées donnant au « a « un caractère
privatif, et donc a=non, bio= vie, genèse=création. Création à partir de rien…
Vraiment les gens parfois.
Evidemment, la plupart
des monstres naissaient dans l’ombre et l’humidité, là où pullulent les moisissures
et autres champignons, voire même des mycéliums. Dans la pénombre propice, on
pouvait apercevoir dans le gel translucide enveloppant les carpospores luire et
battre des pompes minuscules comme autant de muscles cardiaques indistincts,
renflements pulsant une hémolymphe nimbés d’une lueur glauque. A chaque peur, à
chaque dégoût, plaisir soudain ou rire
impromptu, à chaque émotion passant à leur portée, les monstroculus la
phagocytaient, s’en nourrissaient, croissaient et prospéraient. Et à chaque
vague sentimentale, une nouvelle génération de monstrounets apparaissait, ramassée
et rapidement prise en charge par les
fonctionnaires de la voirie et de la reproduction.
Et tous les monstres, ou quasi,
passaient leurs premières années ainsi dans les orphelinats aux relents de
casernes, à arpenter les couloirs sans âge et sans âme, dans un rituel aussi
rigide qu’absurde. On les faisait aller des salles de classe au réfectoire, du
réfectoire aux salles d’études, des sales d’études aux douches et des douches au
dortoir. Tout y était fonctionnel et mal pratique, froid, aligné, rectangulaire,
plat, terne et mort. Zut, Pompyle était retombé dans son enfance.
Et ce cri strident du surjé qui brise
cette harmonie mélancolique : Pomp’, chez le dirlo, au trot
Et Pompyle de trotter
Qu’avait-il encore fait ?
Quelle serait la punition ?
Et le surgé qui sourit… Catastrophe, si
ce sadique est heureux, c’est que je vais souffrir, se dit in petto et dans sa
tête le petit Pompyle affolé
La porte immense du dirlo, dont le haut
disparaissait dans le zénith, s’ouvra dans un grincement menaçant
Ce fut le jour où Pompyle rencontra ses
parents
Et sur chaque formulaire qu’il complétait
désormais, une larme d’émotion brouillait sa signature
|
mercredi 20 mai 2015
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire